Faits divers

FAIT DIVERS

Pierre Alferi, Marika Belle, Jérôme Boutterin, Marie de Brugerolle,

Gabriele Chiari, Camille Correas, Jordan Derrien, Juliette Green,

Airwan Groove, Ann Veronica Janssens, Romain Moncet, Romain Quattrina,

Nicolas Quiriconi, Pauline Rima, Sophie Rogg, Alejandro Villabona.

 

Curated by Antoine Duchenet
 Palais des Beaux-Arts, Paris
15.10 – 20.11 2021

Rien à dire.
Pour lui, toute opinion fondée sur les faits est erronée,
Car les faits ne peuvent jamais tout dire,
Et leur interaction est toujours infinie.1

Un titre [Fait divers], pioché tout à fait par hasard ; et qui à ce jour persiste encore sur l’objet auquel je l’avais provisoirement greffé. Spontanément, le mot s’affichait avec une pointe de générosité : un champ d’action plutôt large, entre la réalité factuelle d’une exposition – un amalgame de rencontres et de rebondissements qu’il me faudrait tôt ou tard prendre en main – et le charme d’une diversité à qui je laissais volontiers la porte entrouverte. Destiné à évoquer ou à accompagner, à ses prémisses, la nature indécise de l’exposition, ce titre tenait lieu de leurre pour céder le pas aux artistes. Illusion d’un cadre aux contours si lestes qu’il n’imposerait rien, ne figerait rien, mais retarderait seulement l’échéance du « terrible pourquoi des choses ».

De l’intuition du titre à la structure induite par celui-ci (« le fait divers procéderait d’un classement de l’inclassable, il serait le rebut inorganisé de nouvelles informes »2), un premier enchaînement s’opère, et dispense, à défaut d’un sujet, une conduite à cette exposition. Sous l’impulsion des œuvres ou de leur projet, différentes mécaniques ont aussitôt succédé à la carence thématique pour permettre à l’exposition de s’inventer pas à pas et de se constituer une trame, composée jusqu’alors d’une collection de choix éparpillés et de coïncidences ramassées sur l’année.

Une grande partie des associations entre les œuvres présentées relève de hasards arbitrés et de correspondances suspectes. Je les ai ajustées en amont dans ma « version blanche » (naked version), la scénographie de cette exposition antérieure au réseau dessiné de Juliette Green (diversion sournoise qui double l’exposition). D’autres ensembles se sont ensuite trouvés puis agrégés selon l’espace fourni par la salle Foch pour modeler la forme actuelle de Fait divers. Si l’exposition (au sens large, l’événement) produit les conditions d’une rencontre sur différents niveaux, l’accrochage offre, quant à lui, la certitude d’un rapport plus spécifique : la simple corrélation d’un certain nombre d’œuvres, entre-elles. Accorder cette fonction à l’exposition (inventer des rapports et les préserver) c’est imaginer qu’elle puisse immobiliser pour un temps une forme de vie entre les choses, puisqu’elle résulte d’un fourmillement de rapprochements ; de relations de toutes sortes. Plus particulièrement ici : des contrastes, des connivences, des aberrations, des déviations, des surprises…

De fil en aiguille, la trame très ouverte de Fait divers se sera resserrée en un nœud, une sorte de situation qui tient sur elle-même, qui se contient (et se dénoue ?). Un point de liaison investi par les restes d’une aventure collective à la croisée de trajectoires toutes différentes, enchevêtrées pour l’occasion. Résultat peut-être, d’une proximité complice avec les quelques œuvres de l’exposition issues d’une typologie similaire : gestes serrés, enlacés, retenus..?

En somme, cette exposition formalise cette série de liens, organisés en dehors de l’autorité d’un mobile, avec la ferme intention que celui-ci n’aura de cesse de se déplacer pour produire quantité d’accords (et d’accrocs) entre les œuvres, les artistes et ce cadre redoutablement solennel du Palais des Beaux-Arts. Une infinité de raisons valables que je ne m’explique qu’en partie, et que la vie de ce projet ne pourra contredire. Fait divers, état de fait, et désormais, fait accompli : s’en faire une fête puisque « ça existe Tout seul ; ça vit sans permission »3.

Antoine Duchenet

1 Louis Zukofsky « A » (section 8), Traduction de l’anglais (États-Unis) par François Dominique et Serge Gavronsky, Caen, Éditions NOUS, Collection NOW, 2020, p.123

2 Roland Barthes, « Structure du fait divers », article paru dans « Médiations », 1962 (repris in Essais critiques, Seuil, 1964, p.189).

3 Louis Zukofsky « A » (section 9), Traduction de l’anglais (États-Unis) par François Dominique et Serge Gavronsky, Caen, Éditions NOUS, Collection NOW, 2020, p.154

Photographer : Nicolas Brasseur